BIBLE - Les livres de la Bible

BIBLE - Les livres de la Bible
BIBLE - Les livres de la Bible

La Bible a été longtemps le seul recueil littéraire connu de la culture ancienne du Proche-Orient et elle en reste un des témoins majeurs, même si les découvertes du XIXe siècle ont permis de la replacer dans un contexte plus large. À ce seul titre, elle mérite l’intérêt de l’homme cultivé. Mais cet intérêt est encore renforcé par son immense influence sur la civilisation occidentale modelée à des degrés divers par le christianisme. Elle reste le «livre sacré» des religions juive et chrétiennes: elle est donc un écrit encore vivant, en ce sens qu’elle nourrit la foi d’une grande fraction de l’humanité. À ce deuxième titre, la Bible fait partie de notre héritage, quelle que soit la position adoptée vis-à-vis de son contenu religieux.

C’est à dessein que le mot recueil a été utilisé, la Bible n’étant pas un livre d’une seule venue mais une collection d’œuvres, de genres divers, appelées généralement «livres» malgré leur étendue souvent faible, écrites au long de plus de neuf siècles, en deux ou trois langues, le plus souvent à partir de traditions orales bien établies, chaque œuvre étant à son tour relue et corrigée en fonction de nouveaux écrits ou de nouveaux événements. La Bible appartient donc à ce qu’on appelle, en termes techniques, la «petite littérature» (Volksliteratur ). Cette désignation n’a rien de péjoratif, elle désigne simplement le mode de formation d’un tel recueil. On y trouve, en effet, des créations dignes de figurer dans une anthologie des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale, le Cantique des cantiques, le livre de Job, l’Ecclésiaste (ou Qohélet) et bien des pages des prophètes ou des livres historiques.

Grâce aux découvertes de monuments littéraires anciens du «Croissant fertile» et grâce surtout aux manuscrits trouvés dans les grottes de Qumr n, en Palestine, on se rend compte aujourd’hui que la Bible n’est pas uniquement une accumulation, à travers le temps, de morceaux variés; elle est le résultat d’un choix parmi de nombreuses œuvres dont la plupart n’ont pas été retenues et sont appelées apocryphes, pseudépigraphes ou deutérocanoniques selon le point de vue auquel on se place. Si la Bible lue par les israélites se distingue de celle qui est reçue chez les chrétiens surtout par l’adjonction, propre à ces derniers, des «écrits apostoliques» ou Nouveau Testament, les diverses traditions juives ou chrétiennes n’ont pas toutes reçu les mêmes œuvres dans leur liste officielle, le canon (du mot grec 見益諸益, règle).

La Bible a donc une histoire qu’il est nécessaire de connaître pour pouvoir la comprendre. C’est l’histoire de sa formation, mais aussi de son interprétation et de son utilisation.

1. Un livre de croyants

Les noms de l’œuvre

Le recueil a pris son nom actuel dans le contexte de la civilisation hellénistique. Il était et est toujours désigné en grec par un neutre pluriel 精見 廓晴凞晴見, les livres par excellence; le mot fut simplement transcrit en latin biblia , puis passa dans les diverses langues occidentales: bible en anglais, Bibel en allemand, biblia en espagnol, bibbia en italien. Une dénomination correspondante avait cours dans les communautés de langues hébraïques ou apparentées, s 勒ph r 稜m , les livres, ainsi qu’une autre désignation: kithb 勒 haqqodesh . Cette dernière a aussi son équivalent en grec, 見晴 晴﨎福見晴 塚福見﨏見晴, 精見 晴﨎福見 塚福見猪猪見精見, ou encore 塚福見﨏兀, 塚福見﨏見晴, respectivement les écritures saintes, les écrits sacrés, l’écriture, les écritures; d’où l’expression française «la (ou les) sainte(s) Écriture(s)». Le recueil étant lu publiquement, il est aussi appelé dans les écrits rabbiniques hammiqr , la lecture. Mais le nom traditionnel du corpus hébraïque est tanak , mot formé des initiales de ses trois parties, t 拏rah , loi, n 勒bhi’ 稜m , prophètes, k 勒t bh 稜m , écrits, division fort ancienne puisqu’elle se trouve déjà dans le prologue de l’Ecclésiastique (ou Siracide), environ 130 avant J.-C. Lorsque, au cours du IIIe siècle, les chrétiens prirent conscience que s’était constitué, dans le prolongement de la Bible hébraïque, un nouvel ensemble d’œuvres proprement chrétiennes, on l’appela 兀 見晴益兀 嗀晴見兀兀, la nouvelle alliance, ber 稜th en hébreu, par opposition à 兀 神見凞見晴見 嗀晴見兀兀, l’ancienne alliance correspondant au corpus synagogal. En raison du double sens du mot grec: testament et alliance, les deux expressions furent mal traduites en latin puis dans les langues occidentales par Novum et Vetus Testamentum , Nouveau et Ancien Testament. Ces deux dernières désignations, ainsi que la dénomination plus large de Bible, sont les plus usuelles aujourd’hui. L’expression tanak est encore employée dans les cercles orthodoxes israélites.

Un livre lu en communauté

L’ensemble de ces vocables met en lumière le rapport qui existe, dès l’origine, entre les hommes qu’un tel livre rassemble et ce livre lui-même: c’est un livre de vie. Significative est aussi la multiplicité même des œuvres qui le composent, multiplicité qu’exprime le jeu des pluriels et des singuliers dans ses diverses dénominations. Il semble que, de tout temps, les fidèles aient eu conscience de lire un seul livre en plusieurs, retrouvant en chacun comme une ligne mélodique toujours identique. Sans s’attarder ici à l’analyse de la diversité, il est possible de cerner de plus près cette intuition et de dégager le thème constant à partir précisément des grandes divisions en Loi, Prophètes et Écrits ou en Ancien et Nouveau Testament.

Pour exprimer la plénitude que le Livre représente pour eux, les israélites emploient trois vocables: la Loi, instruction primitive par rapport à laquelle le fidèle situe son existence; mais sans cesse sollicité ailleurs, il doit être interpellé par les Prophètes – mot qui ne signifie pas avant tout celui qui prédit l’avenir mais celui qui parle à la place, au nom de quelqu’un, ici de Dieu –, Prophètes qui posent toujours à nouveau l’éternelle question du sens de la vie humaine; enfin, les Écrits reflètent la longue méditation de tels hommes rassemblés par le Livre lui-même. Que les chrétiens, pour leur part, parlent de Nouveau et d’Ancien Testament manifeste qu’ils se situent dans l’unité de la Bible selon l’avant et l’après de l’événement qu’est pour eux Jésus-Christ, sans que l’avant soit rendu caduc par la nouveauté de l’après, qui n’en est que l’accomplissement paradoxal.

On saisit alors que si la Bible est un livre qui fait vivre, le Livre, elle est aussi un livre vivant. Il s’établit un dialogue entre le livre qui interpelle les hommes qu’il rassemble et ces hommes eux-mêmes qui questionnent le Livre. Et cela n’est pas seulement vrai pour la longue période de formation durant laquelle la Bible se constitue selon une dialectique complexe entre l’événement significatif (parole ou acte interprété), l’auditeur avec la communauté dans laquelle il vit et l’écrivain ou l’orateur qui fait partie de cette même communauté. Dialectique qui peut rendre compte des incessantes reprises à neuf et des redites du texte. Aujourd’hui encore la Bible, lue dans la communauté des fidèles, réclame une réponse neuve de la part de l’auditeur, qui à son tour questionne le texte; témoin l’immense effort de relecture et d’explicitation que représente le Talmud pour la communauté juive et tous les courants modernes d’interprétation qui prennent la suite de nombreux autres, bien souvent stérilisés par le dogmatisme. Elle est donc le livre d’une tradition, de la transmission d’une parole pour l’homme, parole que l’auditeur reçoit comme étant d’origine transcendante. La Bible par les questions qui sans cesse lui sont posées rassemble les croyants en communauté. Mais elle fait encore éclater la communauté qu’elle a rassemblée pour l’affronter à la réalité quotidienne du monde vécu qui à son tour questionne et renvoie au texte. Si la Bible est pour les croyants parole religieuse sur l’homme, c’est qu’elle leur transmet l’interpellation provocatrice de Dieu, en une parole qui leur dit dans le même temps qui est Dieu pour eux.

2. La constitution et l’organisation de la Bible

Parmi les littératures du Proche-Orient, tant ancien qu’hellénistique, la Bible occupe une place particulière. Livre religieux, elle est entourée depuis des siècles de la vénération des fidèles des deux grandes religions juive et chrétienne qui fondent sur elle leurs liturgies, leurs spiritualités, leurs théologies. Mais elle reste un livre écrit par des hommes situés dans l’épaisseur de l’histoire. Ce livre est l’expression d’expériences humaines et religieuses vécues dans le temps et dépendant les unes des autres. On doit même dire que l’Ancien Testament est le reflet de l’histoire d’un peuple lentement constitué parmi d’autres peuples, comme le Nouveau est celui de la naissance d’une religion qui, se voulant universelle, cherche dès le début à se répandre dans toutes les contrées connues à cette époque. La Bible ne saurait donc être comprise que replacée dans son contexte historique. Elle n’est, en effet, qu’un recueil de documents complexes et variés, un recueil formé de plusieurs groupes de livres distincts.

La rapide esquisse qui va suivre de l’histoire littéraire de l’Ancien et du Nouveau Testament ne saurait être qu’un état de la question selon les résultats les plus probables de la critique tant littéraire qu’historique. Il est impossible de rendre compte ici de tous les détails des diverses positions, et encore moins des étapes successives qui ont permis une telle analyse. Le déroulement de l’histoire du peuple hébreu sera supposé connu.

Traditions orales

Outre des traditions sur l’origine du monde qui participent du genre des cosmogonies antiques, expressions imagées et à allure historique d’une conception philosophico-religieuse de l’univers, la Bible, dès le douzième chapitre de la Genèse, rapporte des événements contemporains de civilisations du Proche-Orient, parvenues quant à elles depuis longtemps déjà au stade de l’écriture. Les patriarches décrits par la Genèse sont des semi-nomades; tel est le milieu de naissance de la tradition orale, origine de la littérature hébraïque. Il ne faut donc pas faire remonter trop haut dans le temps la fixation du texte, malgré les allusions du livre de l’Exode (XVII, 14; XXXIV, 28). On n’entre pleinement dans la civilisation écrite qu’après l’établissement de la monarchie à Jérusalem. Cependant, il faut se garder de séparer trop nettement les deux stades. Certains morceaux sont, en effet, fixés très tôt par écrit: les premiers furent recueillis, semble-t-il, vers le XIe siècle avant J.-C., ce qui suppose un usage déjà ancien de l’écriture. D’autre part, la tradition orale continuera à se développer parallèlement aux œuvres écrites, même après l’époque hellénistique.

À l’époque monarchique, lorsque l’unité politique est réalisée, on rassemble les traditions du peuple hébreu. Elles sont d’origines fort diverses: récits «étiologiques» de clans, de groupes de tribus; traditions attachées à des lieux divers, champs de bataille, campements saisonniers et surtout sanctuaires. On se tromperait en prêtant à ces traditions une visée purement historique. Assurément, certaines conservent le souvenir des grands hommes: les patriarches, Moïse et jusqu’à Saül; mais plus fréquemment l’histoire s’est schématisée pour faire ressortir les éléments les plus importants, le plus souvent d’ordre religieux. Les intentions peuvent être autres: expliquer le pourquoi et le comment de certaines coutumes, de noms de lieux, et aussi les regroupements de clans par recours au procédé des éponymes. Elles donnent aussi des règles de conduite soit en véhiculant le matériel juridique et rituel, soit en insinuant des leçons morales et religieuses à propos de l’histoire d’un héros d’autrefois. Finalement, la conception israélite de Dieu, du monde et de l’homme s’y exprime concrètement, et l’ensemble constitue le bagage culturel de la nation au seuil de la création de la littérature écrite.

Les formes sont fort diverses, parfois déjà fixées, le plus souvent encore flottantes. Leurs genres sont variables. On y trouve aussi bien des poèmes que de sèches descriptions, des dialogues animés ou des pièces liturgiques. Il semble que, dès l’époque des Juges, aux XIIe-XIe siècles avant J.-C., les traditions se soient organisées en cycles dont les scribes royaux ont souvent respecté l’aspect. Elles paraissent s’être surtout rassemblées autour des grands sanctuaires, tels que Sichem, Béthel, Bersabée. Il est difficile de déterminer avec précision les morceaux déjà fixés par écrit. Certains restent rudes et archaïques, comme le chant du puits (Nombres, XXI, 16-18), d’autres se révèlent plus élaborés, comme le cantique de Deborah célébrant une des grandes victoires de la conquête (Juges, V). De nombreux oracles «prophétiques», en particulier ceux de Jacob, Balaam, Moïse, furent fixés, semble-t-il, à une date très ancienne. Mais ce sont certainement les pièces juridiques qui furent rédigées les premières, par nécessité pratique. Il n’y a pas de raison de ne pas en faire remonter l’origine à Moïse, même si on ne peut lui en attribuer la totalité. Parmi ces textes, les plus anciens sont ceux du code de l’Alliance (cf. de XX, 22 à XXIII, 33) et du décalogue (Exode, XX, et Deutéronome, V). Autour de ces textes gravitait un droit coutumier oral, généralement de même origine, mais qui a été, tout naturellement, remanié et augmenté selon les besoins des époques et des situations successives. Il ne faut pas oublier que ces textes et coutumes législatifs, avant même de fonder le droit, établissaient la tradition religieuse d’un peuple.

Débuts de la littérature écrite

L’établissement, au cours du Xe siècle avant J.-C., de la monarchie israélite va, en introduisant une certaine stabilité, permettre le rassemblement de toutes ces traditions et l’éclosion de la littérature écrite. L’organisation du royaume, due au génie de David puis de Salomon, s’inspire de celle des monarchies contemporaines, phénicienne et même, dans une certaine mesure, égyptienne. Le roi s’entoure d’un ensemble hiérarchisé de fonctionnaires dont les plus importants, en ce qui nous concerne, sont les scribes, à la fois archivistes, historiographes et secrétaires du royaume. Ils rassemblent et organisent déjà les diverses traditions, en y découvrant une unité profonde, celle d’une «histoire de salut» conduite par Dieu. Ils ne font donc pas œuvre d’historien au sens moderne du mot, mais rédigent une «saga » dont le sens religieux importe plus que les précisions de détail. Ils insèrent dans une trame chronologique remontant jusqu’à la création du monde toutes les composantes de la tradition nationale en harmonisant parfois leurs divergences. Et déjà dans cette ligne s’amorce l’historiographie du royaume. Mais chacun des scribes est aussi un sage, un homme au jugement droit et de bon conseil. Puisant au bien international qu’est, à l’époque, la littérature de sagesse, ils développent les premiers écrits sapientiaux, dont les Écrits, ou livres de Sagesse, donnent une idée, bien que ces derniers soient en fait le résultat d’une constante refonte des premiers traités, opérée jusqu’à une date tardive (au plus tôt 300 av. J.-C.).

Le culte se stabilise au temple de Jérusalem. Les traditions de sanctuaires ainsi que les textes législatifs et rituels s’y concentrent donc. Autour du temple gravitent les prophètes, proches du culte depuis l’époque des Juges. Un de leurs oracles, celui de Nathan, «voyant» attitré de David (II Samuel, VII), présente une importance capitale: il est à l’origine du messianisme dynastique. C’est aussi autour du roi et du temple que naissent les Psaumes – fort peu de ceux que nous connaissons sont de David, très peu même datent de cette époque, mais la littérature liturgique, louange, complainte, action de grâces, se prolongera tout au long de la vie du peuple et débordera les limites du livre des Psaumes.

Deux «histoires de salut»

Dès la fin du Xe siècle avant J.-C., la succession catastrophique du roi Salomon entraîne le «schisme» entre Juda et Israël, qui vont évoluer dans des voies différentes. Dans le royaume de Juda (Sud), l’activité littéraire continue, bien que, selon l’attitude des rois, on constate une alternance de syncrétisme cananéen et de renouveau yahviste. L’activité littéraire se concentre autour du temple, ce qui influe sur elle en profondeur. Alors se constitue la première compilation de l’«histoire de salut» du Sud: le matériel ou la source «yahviste» (J) du Pentateuque.

Dans le Nord, au contraire, la monarchie s’appuie sur les propriétaires fonciers et les marchands. Le second foyer de culture qui se constitue avec l’installation du roi à Samarie n’est pas à l’abri du syncrétisme. Aussi, malgré un épanouissement culturel certain, il en reste peu de traces dans la Bible. Celle-ci nous a conservé seulement les réactions vigoureuses des prophètes ou des cercles prophétiques fidèles à la tradition religieuse de Jérusalem. La révolution de Jéhu (env. 840 av. J.-C.) permet d’ailleurs à ces cercles prophétiques d’étendre leur influence. Un courant réformateur atteint les milieux littéraires. C’est l’époque de la collation des traditions relatives à Élie et à Élisée, la première fixée dès la fin du IXe siècle, la seconde au milieu du VIIIe siècle avant J.-C. À ce même effort littéraire il faut rattacher la constitution de l’«histoire de salut» du Nord: le matériel ou la source «élohiste» (E) du Pentateuque, ainsi que plusieurs narrations des «Prophètes antérieurs», des livres de Josué et des Juges. Mais, tandis qu’à Jérusalem la geste sacrée culmine dans l’instauration de la monarchie davidique, le point de vue des scribes du Nord, conservateurs et plus réservés devant l’institution, du fait des abus du temps, prolonge la tradition de la période préroyale: l’idéal est celui de l’Exode et du désert, adapté aux besoins de l’époque. De là, une accentuation de la signification prophétique des grands ancêtres (Abraham, Moïse, Samuel), ou certaines pointes polémiques contre les cultes cananéens et contre la monarchie elle-même. L’histoire sacrée du Nord semble s’être fixée dans le courant du VIIIe siècle avant J.-C.

Le prophétisme

Un esprit similaire anime la prédication des deux premiers «prophètes écrivains». Si celle d’Amos, le Judéen (750 av. J.-C.), n’a pas de lien direct avec le Nord, où cependant il exerça sa prédication rude et populaire, au point que son influence se retrouvera seulement quelques décennies plus tard en Juda chez Isaïe et Michée; celle d’Osée, en revanche, est profondément enracinée dans les traditions religieuses de Samarie et y introduit des thèmes nouveaux, sans cesse repris par la suite: amour de Yahwé pour son peuple, religion affective, comparaison entre l’Alliance et les épousailles... Ce mouvement prophétique, par l’exigence qu’il propose, prépare une refonte législative rendue nécessaire par l’évolution politique et sociale. Celle-ci se fait parallèlement au travail historico-religieux et s’appuie sur la Loi, qui se dégage déjà des premières compilations de l’«histoire de salut» élohiste.

À l’heure où cette œuvre se réalise au Nord, éclate dans le royaume de Juda la prédication fulgurante d’Isaïe. Son originalité ne le coupe cependant pas de ses prédécesseurs, même s’il est moins proche d’Amos que son contemporain Michée. De plus, comme Osée reflétait les grands courants du Nord, Isaïe cristallise dans son œuvre les diverses tendances littéraires et doctrinales du Sud. Proche du temple, il en souligne l’importance comme résidence de la «gloire du Dieu très haut». En outre, quelques-unes de ses idées maîtresses recoupent les compilations de l’«histoire de salut» yahviste: doctrine du «reste» qui seul sera sauvé; annonce, comme chez Amos et Osée, du châtiment de la nation et de sa renaissance après un temps de purification. Mais, fidèle aux traditions de Jérusalem, il projette dans l’avenir l’image épurée du règne de la dynastie davidique. Isaïe est entouré d’un cercle de disciples qui, d’une part, mettent par écrit un certain nombre d’oracles du maître et qui, d’autre part, sont le noyau d’une «école» d’où sortiront l’auteur du livre de la Consolation d’Israël (Isaïe, chap. XL-LV) et, plus tard, les groupes piétistes du judaïsme postexilique.

Après la chute de Samarie (721 av. J.-C.), le roi réformateur Ézéchias s’efforce, en Juda, de recréer l’unité nationale autour du temple et recueille l’héritage culturel et religieux du Nord. C’est l’époque de la première organisation du recueil des Proverbes. Mais la grande œuvre de ce règne fut la compilation en un seul recueil (J-E) des «histoires de salut» du Sud (J) et du Nord (E). Il ne faut cependant pas pour autant déclarer éteints les courants littéraires et religieux élohistes qui continuent à Jérusalem dans les cercles de réfugiés ayant fui le royaume de Samarie. Ils soutiendront la lutte contre l’apostasie et seront pour une part à l’origine de la réforme deutéronomique.

La T 拏rah, Loi divine, devient le monument littéraire sur lequel la nation s’appuie pour survivre. Aussi, dès avant le règne de Josias, le deuxième réformateur de Juda, éprouve-t-on le besoin de renouveler l’expression de cette Loi. On rédige alors le Deutéronome qui, «découvert» en 622, déclenchera un puissant courant de réforme. Parallèlement, un immense travail de rédaction s’effectue. Les premiers livres de la Bible, T 拏rah et «Prophètes antérieurs», jusqu’aux livres des Rois, seront rédigés à cette époque, bien que ce ne soit pas sous leur forme actuelle. L’influence du Deutéronome se fait sentir sur cet ensemble, l’«histoire de salut» devient une longue parénèse (exhortation).

Après la mort de Josias et la mise à sac de Jérusalem (609), il semble que l’effort littéraire se poursuive. Mais, comme souvent dans les moments de crise, le courant prophétique prend plus d’importance. L’influence «isaïenne» s’est déjà fait sentir en Sophonie (630 env.). L’autre courant, dépendant de la tradition du Nord et d’Osée, reparaît chez Jérémie. On ne sait auquel de ces deux courants rattacher Nahum (610 env.) et Habacuc (600?). Le genre de leurs œuvres les rattache à la lyrique cultuelle. Le long ministère de Jérémie permet de connaître les dernières décennies de l’histoire du royaume judéen, mais surtout de deviner pour la première fois à travers l’œuvre d’un prophète sa personnalité profonde. Homme timide et déprimé, sa spiritualité affective est proche de celle d’Osée; il poursuit un dialogue incessant avec Dieu présenté comme père ou époux du peuple. C’est de lui qu’il tire sa force. Il acquiert un prestige extraordinaire, même parmi ses nombreux ennemis. Il n’a qu’un disciple, Baruch, qui parfois lui sert de porte-parole. Baruch suivra Jérémie dans son exil (en Égypte?), mettra en ordre l’œuvre de son maître, rapportée en Palestine au cours de l’Exil. L’œuvre de Jérémie, retouchée, ne prendra son aspect définitif que vers 520. L’influence de cet homme isolé fut immense, après sa mort, tant en Judée qu’à Babylone. Il laissait, en effet, un message d’espérance messianique plus proche cependant d’Osée que d’Isaïe. C’est le prophète de l’Alliance nouvelle inscrite dans les cœurs que Dieu fera avec son peuple après l’épreuve purificatrice.

Ézéchiel et la littérature de l’Exil

C’est parmi les cercles sacerdotaux, groupés autour du temple de Jérusalem, peu avant la catastrophe nationale (prise de Jérusalem par Nabuchodonosor en 587), que surgit une figure prophétique originale, Ézéchiel. A-t-il vraiment vécu à Jérusalem ou commença-t-il sa prédication à Babylone? On ne le sait. Marqué par son origine sacerdotale, il fut toujours l’homme du Livre; lors de sa vocation, la parole de Dieu ne se présente pas à lui comme un message oral (voir Isaïe, VI, 6-7; Jérémie, I, 9) mais comme un livre à manger (Ézéchiel, II, 8 à III, 4). C’est un érudit: il connaît les mythologies et les écrits phéniciens et mésopotamiens, mais surtout il n’ignore rien des lois et coutumes du temple de Jérusalem. Son message de conversion prolonge la ligne deutéronomique. Il propose de l’avenir une description idéale: un peuple théocratique, au cœur purifié, groupé autour du temple rebâti et servi selon un rituel complexe par un sacerdoce saint; le chef politique passe au second plan, il n’est plus roi mais prince et semble soumis aux prêtres. Lorsqu’il apparaîtra après l’Exil, le judaïsme sera très marqué par l’œuvre du dernier grand prophète. Tel qu’on peut le lire actuellement, le livre d’Ézéchiel est le résultat d’un travail rédactionnel effectué après sa mort par les écoles de scribes sacerdotaux héritières de son esprit. À ces mêmes écoles, il faut attribuer la troisième compilation, dite sacerdotale (P), de l’«histoire de salut», reprise des compilations précédentes (J, E, J-E) effectuée dans un dessein théologique: en manifestant la continuité historique des quatre étapes de l’Alliance divine (création, Noé, Abraham, Moïse) qui culmine dans la quatrième loi donnée au Sinaï, elle fait de Moïse le fondateur de la théocratie israélite.

Malgré le peu de renseignements qui nous sont parvenus, l’Exil est donc une période de création littéraire intense. Le temple détruit, les communautés locales, pour résister à l’assimilation, organisent leur culte, le plus souvent sous la conduite de membres de la caste sacerdotale; les écrits déjà existants y sont sans cesse relus et approfondis; on opère de nombreux remaniements, difficiles à saisir historiquement; la psalmique y fleurit et y atteint sa forme classique. L’auteur du deuxième livre d’Isaïe (chap. XL-LV), ou livre de la Consolation d’Israël, est issu d’un tel milieu. Son messianisme présente une perspective universaliste où la figure du Serviteur qui sauve les «multitudes» par ses souffrances se substitue à celle du messie royal trop politisée. À la même époque, mais à Jérusalem, semble-t-il, apparaissent, dans la ligne de Jérémie, les Lamentations, poèmes de deuil sur la ruine de Jérusalem.

Le judaïsme à l’époque perse et hellénistique

À la fin de l’Exil, il devient difficile de suivre la formation du recueil. D’une part, les données historiques sont souvent confuses et parfois manquent totalement, d’autre part, les œuvres se laissent moins facilement dater, du fait de l’emploi fréquent d’un style anthologique imitant le tour, devenu archaïque, des grands devanciers. Chaque genre littéraire laisse cependant apparaître sa ligne générale d’évolution.

Autour de la reconstitution du temple (520-515 av. J.-C.) se manifeste une certaine activité prophétique. Tandis que Aggée et le troisième Isaïe (chap. LVI-LXII) – à qui on pourrait aussi attribuer les chapitres XXXIV et XXXV du même livre – témoignent de la vitalité de l’école isaïenne, les visions de Zacharie (chap. I-VIII) s’inscrivent par leur symbolique dans la ligne d’Ézéchiel. Puis, avec le temps, le prophétisme se disloque: il laisse place aux maîtres de sagesse ou se transforme en oracles apocalyptiques. Les derniers représentants du prophétisme sont difficiles à situer. Malachie peut dater de l’époque de Néhémie (milieu du IVe s. av. J.-C.); la seconde partie de Zacharie (chap. IX-XIV) serait contemporaine de la conquête d’Alexandre; Joël échappe aux prises de l’historien. Le livre de Daniel et celui de Baruch (ce dernier rédigé en grec) représentent le dernier sursaut prophétique; le premier, très marqué par l’apocalyptique, et le second, d’aspect plus sapientiel, prennent corps, à partir de traditions plus anciennes, au tournant du Ier siècle avant J.-C.

Le courant sapientiel, lui, prend un essor important. On rassemble, enfin, la longue tradition des œuvres de sagesse en des recueils tels que celui des Proverbes (rédaction définitive, vers 480 av. J.-C.). Au même moment, des œuvres nouvelles voient le jour; ainsi, le livre de Job (450 env.) oppose à la thèse traditionnelle et simpliste de la longue vie du juste et de la mort du pécheur le démenti des faits: que signifie la souffrance du juste? S’il n’offre pas de réponse ferme à une telle question, Job expose de manière saisissante le drame de la condition humaine. La confrontation avec l’hellénisme sera cependant le catalyseur de la sagesse judaïque. L’Ecclésiaste, ou Qohélet, est, au cours du IIIe siècle avant J.-C., le témoin désabusé de la vanité de l’effort humain, tandis que le livre de l’Ecclésiastique, ou Siracide (écrit en hébreu vers 190 et traduit en grec vers 130 av. J.-C.), propose toujours une doctrine traditionnelle et médite l’histoire du peuple hébreu; enfin, le livre de la Sagesse de Salomon s’efforce (au début du Ier s. av. J.-C.) d’exprimer la pensée des ancêtres en concepts grecs.

Le lyrisme religieux continue à se développer: de nombreux psaumes anciens sont adaptés, d’autres créés, et le recueil prend sa forme définitive à la fin du IIe siècle avant J.-C. sans que, pour autant, la production cesse. À ce genre, on peut rattacher un grand poème d’amour, le Cantique des cantiques (milieu du IIIe s. av. J.-C.), si toutefois l’on admet qu’il ait été allégorisé selon le thème traditionnel des épousailles de Dieu et de son peuple.

La grande œuvre du Chroniste, les deux livres des Chroniques, ceux d’Esdras et de Néhémie (tournant du IIIe s. av. J.-C.), réinterprétation cléricale de l’histoire du peuple, manifeste l’activité des écoles sacerdotales. Mais leur réflexion sur le passé les porte à cultiver un nouveau genre littéraire: le midrash , recueil à base plus ou moins historique destiné à proposer un enseignement, dont les livrets de Ruth, d’Esther et de Jonas (bien que ce dernier soit finalement rangé parmi les Prophètes) sont les exemples, difficilement datables, offerts par la Bible hébraïque. On peut encore y rattacher, bien qu’ils soient rédigés en grec, et de ce fait non reçus dans la synagogue, les livres de Tobie, de Judith, les suppléments au livre d’Esther et de Daniel (chap. XIII et XIV, Suzanne, Bel et le Dragon) ainsi que les deux livres des Maccabées (env. 100 av. J.-C.), récits parallèles, aussi édifiants l’un que l’autre, de la révolte juive sous Antiochus Épiphane.

Mais le centre de la pensée juive ne se situe dans aucun de ces courants: il est constitué par la T 拏rah, ou Loi. Bien que les divers courants de l’«histoire de salut» se soient quelque peu unifiés depuis l’Exil, leur autorité est encore discutée lors du retour en Judée. Le corpus est l’œuvre de juristes des écoles sacerdotales et n’est édité que vers le milieu du IVer siècle avant J.-C., selon sa division actuelle en cinq livres (en grec Pentateuque): Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome. Par contrecoup, le texte des divers livres prophétiques est fixé progressivement. Ce n’est qu’à la basse époque judaïque, au tournant du Ier siècle avant J.-C., qu’on donne aux Écrits leur forme définitive pour les bien distinguer de la production littéraire des sectes juives qui se multiplient alors. Cette production recouvre tous les genres littéraires reçus, mais l’apocalyptique est le mieux représentée; ce sont, entre autres œuvres, le livre d’Hénoch , les Testaments des douze patriarches , le livre des Jubilés , pseudépigraphes et apocryphes mieux situés dans leur contexte culturel et religieux depuis les découvertes de Qumr n.

Les premiers écrits chrétiens

Après l’événement de la Pentecôte, qui suit la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth, ses disciples, continuant à participer à la vie cultuelle juive, conservent et transmettent oralement le souvenir de la vie et de l’enseignement du maître. Le message qu’ils propagent rapidement dans l’est du bassin méditerranéen (Paul est à Corinthe en 51 apr. J.-C.) présente Jésus comme le Christ, c’est-à-dire le Messie, l’Oint annoncé par les prophètes et spécialement par l’auteur du troisième Isaïe. C’est donc autour de la mort de Jésus et de la foi en la résurrection du Christ fils de Dieu que s’articule, dans le prolongement de la pensée juive, la nouvelle doctrine. À mesure qu’on s’écarte de Jérusalem dans l’espace et qu’on s’éloigne de la mort de Jésus dans le temps, les membres des premières communautés chrétiennes plus spécialement chargés de la catéchèse éprouvent le besoin d’aider leur mémoire en coulant leurs souvenirs et leurs enseignements dans le moule des genres littéraires de la tradition orale. Certains aide-mémoire sont parfois déjà mis par écrit. Il se forme ainsi lentement un ensemble mouvant de textes et de souvenirs centrés sur la mort et la résurrection du «Seigneur». Si, par l’ensemble des treize lettres de Paul, dont on peut fixer assez exactement les dates de rédaction entre les années 51 et 67 après J.-C., nous possédons le témoignage d’un enseignement écrit prolongeant une première catéchèse orale prêchée dans diverses villes, il reste que les autres propagateurs de la foi chrétienne pouvaient utiliser des méthodes différentes. Quoi qu’il en soit, après la chute de Jérusalem (70), sans qu’on puisse préciser davantage, on éprouve en divers lieux le besoin de rassembler les traditions sur le «Seigneur Christ». D’où l’apparition de recueils dont le nombre ne peut être limité aux quatre Évangiles actuels. Alors que l’Ancien Testament s’est développé dans un milieu relativement homogène, les écrits du Nouveau Testament répondent, en effet, aux besoins de communautés linguistiques et culturelles fort diverses, depuis les Juifs de Palestine jusqu’aux gentils de l’Égypte, de la mer Noire, de la Perse, de Rome et peut-être d’Espagne. Si, finalement, on retient seulement quatre de ces recueils, c’est en fonction d’un besoin essentiel de l’ensemble des communautés: garder une certaine unité de pensée. Ce sont les Évangiles (transcription d’un mot grec signifiant bonne nouvelle, annonce favorable) de Matthieu, Marc, Luc et Jean. Il est difficile de dire quel auteur il faut mettre sous chacun de ces noms, mais il semble établi que ni l’apôtre Matthieu, ni l’apôtre Jean n’ont rédigé dans leur état actuel les textes qui portent leur nom.

L’Évangile selon Matthieu, dont le texte grec est la traduction d’un original araméen, a l’aspect d’une œuvre à usage liturgique, linéaire, assez solennelle: les détails sont négligés en faveur de l’allure générale du récit. Sa rédaction structurée peut permettre d’y découvrir, entre autres thèses, la démonstration théologique de l’universalité de la mission du Christ.

L’Évangile selon Marc, le plus court, au style rugueux, paraît avoir été rédigé, sinon à Rome, du moins dans un milieu très latinisé. Il reflète assez directement la catéchèse primitive, même si on ne peut pas affirmer que ce soit celle de l’apôtre Pierre. Un de ses thèmes théologiques majeurs est l’incompréhension manifestée par les disciples tout au long de la vie du Christ, incompréhension qui se dissipe après Pâques.

L’Évangile selon Luc, en revanche, est l’œuvre du seul écrivain cultivé du Nouveau Testament. Très habilement rédigé dans un dessein quelque peu apologétique, il présente, en respectant ses sources, la vie publique du Christ selon le schéma d’un unique voyage de Galilée à Jérusalem et au supplice.

L’Évangile selon Jean, enfin, très différent des trois premiers, bien qu’on puisse saisir de nombreux points de contact et certaines influences mutuelles, est l’œuvre d’un théologien et d’un mystique qui réinterprète en plusieurs thèmes entrecroisés les paroles et les actions du Messie, fils de Dieu. C’est certainement l’Évangile rédigé le plus tardivement, au tournant du IIe siècle. Peu après cette date d’ailleurs, l’ensemble des textes du Nouveau Testament prennent leur forme définitive.

Les Évangiles selon Matthieu, selon Marc et selon Luc présentent, malgré de nombreuses divergences, une réelle similitude; ils sont appelés pour cette raison Évangiles synoptiques. L’histoire de la rédaction des Évangiles à partir des premières collections de témoignages est fort complexe. Si la théorie des trois sources (Matthieu dans son original araméen, Marc et la source Q , de l’allemand Quelle ) n’a pas à être rejetée, elle reste une hypothèse de travail en vue d’une analyse plus précise de la formation de chaque péricope (brève séquence racontant un fait ou un dit du «Seigneur»).

Les Actes des Apôtres sont du même auteur que l’Évangile selon Luc et en forment la suite logique. Bien qu’exigeant une lecture critique, ils représentent une source exceptionnelle pour la connaissance de la vie de l’Église naissante et particulièrement de l’apostolat de Paul, ce qui laisse à penser que l’auteur de ces deux livrets doit être un disciple de ce dernier. Si on rapproche de la deuxième partie des Actes des Apôtres les treize lettres de Paul (rangées dans la Bible non pas chronologiquement mais selon leur longueur décroissante), on voit à l’œuvre l’immense effort théologique de l’Apôtre des gentils, point de départ de nombreuses synthèses doctrinales postérieures. L’Épître aux Hébreux, attribuée à tort au même auteur, semble plutôt représenter la théologie de judéo-chrétiens proches des cercles sacerdotaux. Il est difficile de situer historiquement aussi bien cette dernière œuvre que les lettres dites catholiques , celle de Jacques, les deux de Pierre, celle de Jude et enfin les trois billets de Jean. Encore une fois, ici, on ne peut identifier, sans plus, leurs auteurs aux apôtres dont elles portent le nom, bien que les trois derniers billets cités reflètent la pensée d’un milieu dont fait aussi partie l’auteur du quatrième Évangile. Le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, issu, lui aussi, des mêmes cercles «johanniques», est la manifestation dans le Nouveau Testament du genre littéraire dont on a vu l’importance dans les milieux juifs de l’époque. Si sa symbolique complexe a été à l’origine du millénarisme et de nombreuses prédictions peu fondées, ce livre difficile reste du moins une source d’espérance pour les chrétiens.

Comme l’Ancien, le Nouveau Testament est le résultat d’un choix, à l’intérieur d’une production abondante. Parmi les apocryphes ou pseudépigraphes, il faut citer l’Évangile de Thomas , l’Évangile de vérité , ce dernier teinté de gnosticisme, et les Actes de Pierre . Enfin, il ne faut pas séparer abusivement la littérature néo-testamentaire des écrits chrétiens du IIe siècle: des œuvres comme le Pasteur d’Hermas , la Didakè ou les Épîtres de Clément de Rome mettent en lumière les liens étroits qui unissent ces deux ensembles.

3. Traditions et «canons»

Une fois la T 拏rah éditée, sous la direction d’Esdras, semble-t-il, pour servir de loi officielle à l’État judéen, la canonisation des Livres prophétiques et des Écrits ne fut pas le fait d’une quelconque autorité mais provint de leur usage dans la vie liturgique et spirituelle du peuple juif lui-même. Les communautés de la Diaspora, et particulièrement la plus importante, celle d’Alexandrie, éprouvèrent le besoin de lire les «Livres saints» dans la langue qui leur était la plus habituelle, le grec. Une traduction quasi officielle fut lentement réalisée entre la fin du IVe et celle du IIe siècle avant J.-C., par des auteurs qui nous restent inconnus. Le nom qu’elle porte, la version des Septante, lui vient de la légende qui veut que, sur l’ordre de Ptolémée Philadelphe, soixante-douze sages israélites aient traduit en soixante-dix jours l’ensemble de la Bible hébraïque.

Les chrétiens, qui pour la plupart parlaient grec, adoptèrent la Septante comme texte officiel et lui adjoignirent, à partir du début du IIe siècle, l’ensemble des écrits spécifiquement chrétiens, le Nouveau Testament.

Cependant, devant la prolifération des œuvres sectaires d’orthodoxie douteuse, parmi lesquelles ils rangeaient peut-être les toutes premières ébauches néo-testamentaires, les responsables des communautés juives réunis à Yabneh (Jamnia), au sud de Jaffa-Tel-Aviv, dans les années 90-95, dressèrent le canon des livres faisant autorité comme parole divine, ce qui entraîna la fixation ne varietur du texte hébreu lui-même. Ils n’acceptèrent pas certains livres inclus dans la Septante. Les chrétiens n’en continuèrent pas moins à reconnaître comme inspiré l’ensemble des œuvres représentées dans cette traduction, bien que leurs controverses avec les juifs les aient conduits à distinguer les livres reçus par tous et ceux qui leur sont propres et qu’on appellera plus tard deutérocanoniques. Même si certains Pères de l’Église, comme Jérôme et Rufin, optèrent plutôt pour le canon juif de l’Ancien Testament, et si d’autres restèrent hésitants, l’usage du canon large de la Septante fut conservé et s’établit définitivement vers le Ve siècle. La question de la canonicité des livres du Nouveau Testament ne se posa qu’à partir de la seconde moitié du IIe siècle, lorsque, d’une part, Marcion rejeta l’origine divine de l’Ancien Testament et exclut du Nouveau tout ce qui s’y référait, ne gardant que l’Évangile selon Luc et quelques lettres de Paul, non sans les mutiler, et que, d’autre part, Montan tenta inversement d’introduire dans le canon de nouvelles œuvres de sa secte, œuvres qu’il prétendait inspirées.

La première liste connue des livres du Nouveau Testament est le canon de Muratori : l’Épître aux Hébreux en est absente et l’état du texte laisse planer des doutes sur la mention de la Deuxième Épître de Pierre et de celle de Jacques. Origène, Eusèbe et d’autres, dont Jérôme se fait encore l’écho au IVe siècle, émirent des doutes sur la canonicité de diverses Épîtres dites catholiques. En fait, l’usage général, à partir du IVe ou Ve siècle, fut de retenir l’ensemble des livres néo-testamentaires selon l’ordre qui est encore aujourd’hui celui de la plupart des Églises chrétiennes. Lorsqu’au XVIe siècle les réformateurs protestants, pour les livres de l’Ancien Testament, choisissent le canon de la Bible hébraïque, l’Église catholique romaine définit au concile de Trente les livres à recevoir comme inspirés. Il y a donc, depuis cette époque, une légère différence entre les bibles catholiques et protestantes, les premières seules recevant comme inspirés les livres deutérocanoniques. Les anglicans, pourtant, lisent encore une partie de ceux-ci au cours de leurs offices liturgiques.

Il n’en reste pas moins que l’étude scientifique de la Bible ne peut se limiter aux livres canoniques, car la connaissance des apocryphes, des pseudépigraphes et des écrits des premiers Pères de l’Église est très nécessaire pour son intelligence.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем решить контрольную работу

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Les livres du Pentateuque — Pentateuque Voir « Pentateuque » sur le Wiktionnaire …   Wikipédia en Français

  • Bible catholique — Bible Pour les articles homonymes, voir Bible (homonymie). Cet article fait partie de la série Bible …   Wikipédia en Français

  • Bible chrétienne — Bible Pour les articles homonymes, voir Bible (homonymie). Cet article fait partie de la série Bible …   Wikipédia en Français

  • Bible protestante — Bible Pour les articles homonymes, voir Bible (homonymie). Cet article fait partie de la série Bible …   Wikipédia en Français

  • Bible évangélique — Bible Pour les articles homonymes, voir Bible (homonymie). Cet article fait partie de la série Bible …   Wikipédia en Français

  • BIBLE — EN AMONT et en aval du moment décisif de sa constitution dernière, par le versant de sa genèse et par celui de son destin, la Bible a marqué non seulement de son empreinte mais aussi en quelque sorte de son être la nature même d’une importante… …   Encyclopédie Universelle

  • Livres Deutérocanoniques — Les livres deutérocanoniques sont les livres de la Bible que les Églises catholiques et orthodoxes incluent à l Ancien Testament, au delà du canon biblique du Tanakh. On décrit les livres de la Bible hébraïque comme protocanoniques, c est à dire …   Wikipédia en Français

  • Livres deuterocanoniques — Livres deutérocanoniques Les livres deutérocanoniques sont les livres de la Bible que les Églises catholiques et orthodoxes incluent à l Ancien Testament, au delà du canon biblique du Tanakh. On décrit les livres de la Bible hébraïque comme… …   Wikipédia en Français

  • Livres deutérocanoniques — Les livres deutérocanoniques sont les livres de la Bible que l Église catholique et les Églises orthodoxes incluent dans l Ancien Testament, au delà de la Bible hébraïque. On décrit les livres de la Bible hébraïque comme protocanoniques, c est à… …   Wikipédia en Français

  • BIBLE - Les traductions — Dès l’Antiquité préchrétienne, la Bible a été traduite – il faudrait dire, plus adéquatement, produite – dans une multitude de langues. Dans ce processus, on doit, en fait, distinguer deux moments: d’une part, celui des versions «anciennes», qui… …   Encyclopédie Universelle

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”